Laboratoires et essais cliniques des médicaments dans le tiers monde
EXTRAITS: L’ARTICLE INTEGRAL ICI
Attirés par la faiblesse des coûts et des contrôles, les laboratoires pharmaceutiques testent leurs produits en Afrique, au mépris de la sécurité des patients. Face à la multiplication des accidents, certains essais ont dû être interrompus. Ces dérives révèlent comment les industriels du médicament utilisent les populations du Sud pour résoudre les problèmes sanitaires du Nord.
En mars 2005, les essais cliniques du Tenofovir ®, un antiviral utilisé contre le sida, ont été suspendus au Nigeria, en raison de manquements éthiques graves. Menées par l’association Family Health International pour le compte du laboratoire américain Gilead Sciences, ces expériences étaient financées par le gouvernement américain et par la Fondation Bill et Melinda Gates. Si elles ont été aussi interrompues au Cameroun (février 2005) et au Cambodge (août 2004) (1), elles se poursuivent en Thaïlande, au Botswana, au Malawi, au Ghana et aux Etats-Unis….
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…Des essais cliniques doivent pouvoir être effectués sur place, en Afrique, compte tenu de la nature propre des pathologies qui s’y développent, des conditions particulières de l’exercice de la médecine et de la pharmacovigilance. Cependant, les tests pratiqués sont-ils toujours pertinents ? Sur 1 450 nouveaux médicaments commercialisés entre 1972 et 1997, 13 seulement concernent les maladies tropicales (8). C’est l’industrie pharmaceutique elle-même qui choisit, finance et organise ces études. La sélection des médicaments faisant l’objet d’étude et leur évaluation sont ainsi systématiquement biaisées : d’un côté, les laboratoires se préoccupent surtout de rentabiliser leurs investissements, de l’autre les autorités locales peinent à définir une politique du médicament claire et cohérente leur permettant de contrôler vraiment l’activité des laboratoires.
L’opposition entre intérêts scientifique et commercial s’exacerbe dans les pays en voie de développement en raison du décalage considérable entre les enjeux industriels du médicament et la pauvreté des pays du Sud. A la fin des années 1990, le chiffre d’affaires mondial de l’industrie pharmaceutique (380 milliards d’euros) était supérieur au produit intérieur brut des pays d’Afrique sub-saharienne (300 milliards d’euros)….
Auteur: Jean-Philippe Chippaux
Source: Le Monde Diplomatique
(8) Patrick Trouillet, C. Battistella, J. Pinel, Bernard Pécoul, « Is orphan drug status beneficial to tropical disease control ? », Tropical Medecine and International Health, Oxford, 1999, 4, p. 412-420.
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Des laboratoires pharmaceutiques sont accusés de tester leurs produits en Afrique au mépris de la sécurité des patients. Ils utiliseraient les populations du Sud pour résoudre les problèmes sanitaires du Nord, à moindre coût et en étant soumis à moins de contraintes.Au Nigéria, les essais du Trovan® (Pfizer), un antibiotique contre la méningite, et du Tenofovir® (Gilead Sciences), un antirétroviral, ont respectivement été arrêtés en 2001 et en 2005 à la suite de scandales qui ont fait la une de la presse internationale. Un essai et un film ont repris récemment le thème du Big Pharma criminel s’affranchissant des règles éthiques et règlementaires.
Près de 100 000 essais cliniques seraient conduits chaque année dans le monde et environ 10 000 dans les pays en
développement. Les essais cliniques de vaccins ou de médicaments doivent répondre à des normes internationales. Des comités d’éthique chargés de protéger les participants aux essais doivent évaluer la pertinence et l’applicabilité du protocole expérimental dans le contexte économique et social des lieux où l’étude est menée. Ils doivent vérifier que les participants auront librement donné leur accord après avoir été convenablement informés. Les nouvelles molécules devraient être comparées aux traitements de référence disponibles.
Le patient ou/et la communauté participant à un essai doivent pouvoir en attendre un bénéfice, même indirect. L’essai doit être mené rigoureusement afin que ses conclusions soient claires et utilisables pour décider, ou non, de poursuivre le développement ou la commercialisation de la nouvelle molécule. Cela implique que les investigateurs soient compétents. Ils doivent aussi respecter la confidentialité des données individuelles. Tout cela coûte cher,très cher et prend du temps, beaucoup de temps. La tentation pourrait paraître forte de prendre quelques libertés avec une réglementation qui est de plus en plus contraignante dans les pays du Nord. Les coûts de développement et de mise sur le marché y deviennent des obstacles à la mise au point de nouveaux médicaments.
Les pays du Sud ne sont pas seulement des terrains d’expérimentation à moindre coût. Ils sont aussi soumis à des
endémies virales, bactériennes ou parasitaires inconnues ou oubliées au Nord. Ils ont donc besoin, plus que d’autres, du développement de médicaments et de vaccins à la hauteur des défis jetés par la surmortalité infectieuse qui les frappe. Ils ont donc besoin, plus que d’autres, de recherche biomédicale et de recherche clinique. Un vaccin qui réduirait de 50% seulement la morbidité ou la mortalité liée à une maladie infectieuse apparaîtrait comme inacceptable au Nord. Il pourrait être inespéré au Sud, contre le paludisme par exemple. L’intérêt des populations n’est pas le même. Indépendamment des critères de solvabilité, imposer les mêmes critères éthiques et règlementaires pourrait aboutir à priver des populations du Sud de médicaments ou de vaccins qui leurs seraient bénéfiques, seulement parce qu’ils ne seraient pas acceptables au Nord. Alors, deux poids, deux mesures pour l’éthique et les règles de bonne pratique des essais cliniques ?
Source: http://www.revuemedecinetropicale.com/441-441_-_Forum_debat_Symposium.pdf
D’autres sources: http://socio13.wordpress.com/2008/08/28/enquete-sur-la-mort-de-49-bebes-dans-des-essais-testant-des-medicaments-en-inde/
Via http://justice-medecine.blog.droitfondamental.eu/wordpress/?p=1082
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30.03.2008
Les essais cliniques des firmes pharmaceutiques en Afrique. La Constance du jardinier, roman quasi-documentaire de ces agissements couverts par l’Occident
19.02.2008
Les pauvres du Sud, cobayes des firmes pour les médicaments du Nord
Sonia SHAH est une journaliste canadienne d’investigation dont le travail se focalise sur « la collusion entre science et politique dans un monde détraqué », sur les dérapages des lobbies, en particulier celui pharmaceutique et celui pétrolier. Elle a publié deux livres, l’un sur les essais cliniques au Tiers-monde, où les firmes pharmaceutiques « chasseurs de corps » prennent pour cobayes les plus pauvres (The Body Hunters : Testing new Drugs on the World’s Poorest Patients, 2006) et l’autre sur le complexe politico-pétrolier (Crude : The Story of Oil, 2004). A signaler aussi son engagement féministe, concrétisé dans des articles et dans la direction d’un ouvrage sur les féministes américano-asiatiques (The Dragon Ladies, 1997).
Son livre, The Body Hunters, est paru en français il y a quelques mois : Cobayes humains. Le grand secret des essais pharmaceutiques. Préface de John Le Carré. Demopolis, Paris, 2007, 348 pages, 24 €.
Inde, Philippines, Thaïlande, Europe de l’Est, Afrique du Sud, Zambie… Nouvel Eldorado pour les firmes pharmaceutiques à la recherche non plus de chair à canon mais de chair à essais cliniques… Critères éthiques non respectés, corruption locale, consentement éclairé pratiquement jamais expliqué donc non obtenu, victimes des ratages pharmaceutiques laissées pour compte… Dans plusieurs articles dont deux parus dans le Monde diplomatique, Sonia Shah se penche sur ces zones de non droit dans lesquelles des cobayes humains sont utilisés pour que nous autres, Occidentaux, ayons un minimum de garantie de sécurité quant aux médicaments. Quand on sait ce qu’il en est des effets secondaires de beaucoup de médicaments déclarés « sûrs » et donc autorisés dans les pays du Nord, on se demande avec effroi ce que doivent être les autres, ceux que les firmes abandonnent d’elles-mêmes une fois qu’ils ont fait d’énormes dégâts sur ces pauvres parmi les pauvres, qui n’ont aucun avocat pour les défendre. Ces aspects sont abordés aussi dans les vidéos présentées dans notre note (catégorie "GSK, Déroxat..."), qui prennent pour objet les agissements de la firme GlaxoSmithKline au Tiers-monde. Pfizer est actuellement traduit en justice pour des dérapages (c’est un euphémisme !) dont je parlerai dans une note prochaine.
Les textes de Shah se passent de commentaires. Signalons juste que John le Carré, qui a préfacé le livre de Sonia Shah, a lui-même écrit un livre sur le même thème : La Constance du jardinier (Seuil, 2001). Voici des extraits des articles du Monde diplomatique suivis de quelques liens vers des articles anglophones de Sonia Shah.
Délocalisation des risques. Médicaments du Nord testés sur les pauvres du Sud, Le Monde diplomatique, mai 2007
(…) « La surveillance exercée par les organismes de régulation européens et américains est minime. A leurs yeux, les essais conduits à l’étranger ont la même validité que ceux réalisés sur place ; toutefois, les fabricants ne sont pas tenus de déclarer ceux conduits à l’étranger : la seule exigence est le respect de la déclaration de Helsinki (et des règles locales si celles-ci prévoient une protection plus importante). Si les tests échouent (ce qui est souvent le cas), ils disparaissent sans laisser aucune trace. Les comités d’éthique et les organismes de réglementation locaux, qui doivent veiller au respect des droits des sujets, sont rarement à la hauteur de la tâche. En Inde, par exemple, ces hauts fonctionnaires ont pour objectif prioritaire de favoriser le développement des essais cliniques, source de revenus importants. (…)Il n’est guère surprenant, dans ces conditions, que toute une série de scandales aient éclaté. Dans les années 1970, un médicament antipaludique non autorisé, la quinacrine, a été distribué à des centaines de milliers de femmes analphabètes. Il les a rendues définitivement stériles. Au milieu des années 1980, un contraceptif injectable, retiré du marché après la découverte de l’apparition de tumeurs chez le rat, fut testé sur des villageoises, qui déclarèrent ensuite « ne s’être jamais doutées qu’elles participaient à un essai ».
A la fin des années 1990, des chercheurs du service public ont délibérément interrompu le traitement dont bénéficiaient des femmes analphabètes atteintes de lésions précancéreuses au niveau des vertèbres cervicales afin d’étudier la progression de la maladie. Il est apparu évident plus tard que ces sujets n’avaient pas été informés et n’avaient donné aucun consentement à cette expérimentation qui rappelle la tristement célèbre étude Tuskegee (9). En 2001, dans l’Etat du Kerala, un chercheur de l’université Johns Hopkins a été découvert en train de tester un médicament anticancéreux expérimental sur des patients atteints d’un cancer avant que le produit n’ait été déclaré inoffensif sur des animaux. En 2003, un médicament anticancéreux expérimental a été administré à plus de quatre cents femmes qui cherchaient à améliorer leur fertilité ; le produit était toxique pour les embryons. Bien que la presse s’en soit fait l’écho, aucun de ces scandales n’a entraîné la mise en œuvre d’une quelconque protection juridique pour les personnes concernées. (…)
Ces essais conduits en transgressant les règles d’éthique ont aussi pour conséquence de remettre en cause la légitimité de la médecine occidentale auprès de populations du tiers-monde. Pour ne citer que deux exemples, la ministre sud-africaine de la santé a qualifié les médicaments contre le VIH de poison ; des responsables religieux nigérians ont rejeté un vaccin contre la poliomyélite qu’ils jugeaient dangereux. Le spectre du développement de ces essais cliniques conduits dans le secret et insuffisamment réglementés concourt à alimenter ces réactions qui, en termes de santé publique, ont des implications dramatiques.
Rarement invoqué d’une façon explicite, l’argument qui sous-tend la plupart des écarts à l’éthique est que les bénéfices pour la population valent bien quelques prises de risques individuelles – d’autant que la qualité des soins apportés dans le cadre des essais cliniques est souvent supérieure à celle des soins ordinaires, que les médecins impliqués ont accès à des technologies de pointe et que les revenus tirés de ces activités peuvent être réutilisés au profit des patients... Malheureusement, il ne faut pas confondre données expérimentales et progrès scientifiques, comme peuvent en témoigner tous ceux qui ont vu de nombreux vaccins « révolutionnaires » finir abandonnés dans des entrepôts délabrés de régions tropicales. (…)
De plus fortes revendications pourraient mettre fin à certains essais. Mais, comme l’a déclaré le bioéthicien Jonathan Moreno, l’abandon éventuel de ces recherches à l’éthique criticable est une partie du prix à payer si nous voulons reconnaître qu’il existe une différence entre un rat de laboratoire et un être humain. »
Note 9) Dans le cadre de cette étude sur la syphilis, parrainée par les services de santé publique des Etats-Unis, des dizaines d’hommes noirs de milieux défavorisés furent privés de traitement pendant plusieurs décennies, dans le but de décrire l’avancée naturelle de la maladie. Le scandale conduisit à l’émergence, en 1974, des premières mesures de protection des patients subissant des essais.
La « plaisanterie » du consentement éclairé, Le Monde diplomatique, mai 2007
(…) « Des anthropologues médicaux ont trouvé un moyen de vérifier si un consentement est « éclairé » ou non. En interrogeant par questionnaire trente-trois participants thaïlandais à un essai de vaccin contre le VIH, ils ont découvert que trente d’entre eux n’avaient pas été correctement informés. De même, une étude portant sur l’essai d’un contraceptif réalisé au Brésil a révélé qu’aucun des sujets n’avait été informé de façon satisfaisante. Et, lors d’un test réalisé à Haïti sur la transmission du VIH, 80 % des participants en ignoraient les finalités précises (1).
« Le consentement éclairé, c’est une plaisanterie », va jusqu’à déclarer un enquêteur à la National Bioethics Advisory Commission. « Comment une personne qui n’a jamais entendu parler de bactéries ou de virus pourrait-elle donner son consentement éclairé ? dit un autre. Cette idée de consentement de l’individu... Cela n’existe pas. Les gens font ce qu’on leur dit de faire. »
Depuis 2001, considérant que les protections qu’elle garantit sont trop contraignantes, la FDA tente de prendre ses distances avec la déclaration de Helsinki. En 2001, elle s’est opposée à l’intégration de nouveaux amendements limitant les essais avec placebo, et reste hostile à plusieurs paragraphes de la déclaration. La tendance générale s’est confirmée l’été dernier lorsque l’Institute of Medicine, l’un des premiers organes consultatifs des Etats-Unis dans le domaine scientifique, a recommandé de lever les interdictions de facto qui empêchaient de conduire des essais cliniques sur des prisonniers et, dans un même élan, a qualifié de « myopes » tous les défenseurs du consentement éclairé qui pendant des décennies s’y sont opposés (2). »
Notes
- Punnee Pitisuttithum (sous la dir. de), « Risk behaviors and comprehension among intravenous drug users volunteered for HIV vaccine trial », Journal of the Medical Association of Thailand, Bangkok , janvier 1997 ; Daniel W. Fitzgerald (sous la dir. de), « Comprehension during informed consent in a less-developed country », The Lancet, Londres, 26 octobre 2002.
- Lawrence O. Gostin (sous la dir. de), Ethical Consideration for Research Involving Prisoners, The National Academies Press, Washington, DC, 2006 ; et « Testing new drugs on prisoners : The easy out », The Boston Globe, 17 août 2006.
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- Nombreux liens et vidéos sur le sujet via:
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Le Sida et l’Afrique : Les Cobayes de l’industrie pharmaceutique | |
L’article "Le Sida et l’Afrique : Les Cobayes de l’industrie pharmaceutique au Cameroun, au Ghana, au Nigeria, au Malawi, au Botswana..." a été publié sur le site Afrikara le 21/02/2005.http://www.stopvivisection.info/article.php3?id_article=125
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