Chaque jour, des millions de tonnes de protéines animales sous forme de viande, de poisson, œuf, lait, beurre…etc. transitent à travers les estomacs du genre humain. Rien de plus banal que cette consommation millénaire que nous devons à nos « frères inférieurs ». Au sein du monde moderne, ces créatures sont virtualisées ; nous ne les percevons plus dans leur intégralité, leur intégrité et sensibilité, ils sont beefsteak, côtelettes, gigot, boudin, jambon, cuisses, ailes, filets…etc. Ils constituent un peuple de fantômes grouillant derrière le voile d’un anonymat destiné probablement à nous éviter le difficile spectacle de la souffrance que nous leur infligeons.

 

Le productivisme, fidèle à la logique de la rentabilité coûte que coûte, a appliqué à ces créatures la règle industrielle du maximum de production dans le minimum de temps et le minimum d’espace. C’est à cette équation que nous devons l’invention des fameux « hors-sol », à savoir une concentration, un confinement qui condamne l’animal à ne jamais connaître les conditions de vie que la Nature lui a définies depuis les origines.

Avec ces considérations, notre intention n’est pas de désigner des boucs émissaires, car il s’agit d’un des phénomènes d’une société qui ne sait plus exister sans les critères absolus de l’offre et de la demande, des plus-values pour les producteurs, du moindre coût pour le consommateur. Cette règle est pathétique et ressemble à un traquenard faisant de la croissance économique sans limite un sable mouvant où l’agitation condamne plus qu’elle ne sauve. Tout cela ne dédouane pas pour autant chaque individu de la part de responsabilité qui lui incombe. Nous avons le pouvoir d’orienter l’histoire à condition d’être conscient de ses dérives.

La condition qui est faite aux animaux est pour nous une grave dérive. On se demande si de vieilles considérations métaphysiques attribuant à l’homme une primauté et souveraineté absolues sur tout ce qui vit, renforcées par les propos scientifiques de Monsieur Descartes affirmant que l’animal n’est qu’une mécanique biologique, ne seraient pas à l’origine de la considération aussi préjudiciable que nous avons de la gent animale. Comment en est-on arriver à oublier à ce point que les animaux ont été pour l’espère humaine à la fois ressources de survie alimentaire mais aussi des auxiliaires sans lesquels notre évolution eut été bien handicapée. Que serait devenu le bédouin sans les dromadaires, l’esquimau sans les chiens pour ne citer que ces deux conditions extrêmes. Bien des cultures humaines ont été inspirées par les animaux. Cette aventure commune pour le meilleur et pour le pire constituait une sorte d’alliance qui a été vivement rompue par le monde industriel grisé par ses « chevaux vapeur ».

 

L’animal a comme déserté la société du temps-argent. Cela a quelque chose de poignant. En plus d’une simple source de protéines, l’animal n’est plus qu’objet d’expérimentation, de curiosité ou de divertissement. En contrepartie, il a acquis le statut de consommateur contribuant à l’élévation du PIB et du PNB des nations prospères grâce à une adulation souvent excessive et dispendieuse dans notre désert affectif. Désert dans lequel les tentatives de reconstituer du lien social avec des outils de communication de plus en plus perfectionnés prennent les allures d’une mutualisation des solitudes.

A l’évidence, la présence et la beauté animales nous manquent. En considérant parfois les fresques des pyramides égyptiennes où elles figurent déjà, je songe particulièrement à ces vaches zébus, porteuses de lyres en guise de cornes. Elles parcourent encore la brousse sahélienne, généreuses, patientes et tranquilles comme un hymne vivant à la majesté d’une création qui nous est devenue si étrangère…